Klonaris/Thomadaki
Le Rêve d’Electra

Entretien avec Madeleine Van Doren (suite)



Le Rêve d'Electra
M. VD.: Vous avez déjà mis en scène une Electre en Grèce. Considérez-vous que cette installation soit une nouvelle mise en scène?

M. K.: C’est plutôt une mise en écrans. Ou une mise en abîme. L’environnement évoque des personnages, il y a des présences sur les images, il y a des voix qu’on entend, mais cela ressemble plus aux cercles concentriques de la surface troublée d’un lac. On n’assiste pas à une action. On se promène au milieu d’images transparentes, immatérielles.

M. VD.: Ce que vous proposez dans l’installation ce sont des déambulations de spectateurs à l’intérieur de quelque chose qui est créé par vous. Dans les pièces de théâtre l’acteur n’est qu’un intermédiaire entre un texte et le spectateur, tandis que là c’est un cheminement beaucoup plus à l’intérieur de vous-mêmes...

K. T.: Oui, c’est une dérive dans un paysage intérieur. Nous avons toujours privilégié les images mentales. C’est d’ailleurs la raison de notre glissement du théâtre vers le cinéma. Puis nous avons eu envie de faire éclater l’image unique, de multiplier les écrans, de revenir aux trois ou plutôt aux quatre dimensions, de créer des dispositifs.

M. K.: Nos installations sont des environnements tissés de projections. Ce qui nous passionne c’est l’insaisissable de l’image projetée, cette fragilité des apparitions, leur dépendance de la lumière, leur immatérialité. Etant donné que nous adhérons à l’idée que la réalité dite extérieure est une projection, opter pour l’image projetée comme notre médium principal, c’est en fait un choix philosophique. D’ailleurs tous les nouveaux moyens qu’on utilise actuellement dans les arts à médiation technologique, nous obligent à nous poser des questions sur la nature du “réel”.

M. VD.: A propos de ces nouveaux moyens. Alors que les femmes ont été marginales dans la création artistique - des tas de circonstances l’expliquent - on a l’impression depuis plusieurs années qu’elles s’en emparent d’une façon très vivace, très tonique. Est-ce parce qu’ils correspondent plus à leur tempérament pulsionnel?

K. T.: Je pense qu’il y a un facteur socio-politique qui est que l’apparition de ces nouveaux moyens est contemporain de la grande poussée du mouvement des femmes. Cela se passe après 68, dans les années 70 et ce n’est pas un hasard si au moment où une nouvelle conscience, une nouvelle dynamique s’est manifestée chez les femmes, marquée fortement par la quête de “langages”, que l’on a dû s’emparer de moyens qui étaient naissants à ce moment là, qui n’avaient pas d’histoire derrière eux, pas de langage constitué. C’était comme une équation naturelle. C’était dans l’air. Même si la communication entre le mouvement des femmes et la recherche artistique n’a pas toujours été évidente.

M. VD.: Par rapport à la nature du Rêve d’Electra. Est-ce que c’est un regard vers le passé ou vers l’avenir?

M. K.: C’est un regard cyclique. Le renvoi miroirique entre le passé et l’avenir est constant.

K.T.: Ta question me fait penser à cette phrase de Borges: “Le présent est indéfini... l’avenir n’a pas de réalité autre que celle d’un espoir présent... le passé n’a pas de réalité autre que celle d’un souvenir présent...”

M. VD.: Ce n’est pas la première fois que vous mettez en situation un personnage endormi...

K. T.: Il y a eu l’Hermaphrodite endormi/e à La Biennale de Paris. Là aussi un corps endormi rayonnait tout un environnement d’images. Le sommeil c’est le lieu du rêve. C’est le théâtre des transformations. Dans une autre de nos œuvres, Orlando, d’après Virginia Woolf, le héro change de sexe au cours de son sommeil. Tous les possibles sont réalisables dans le rêve puisque l’opacité physique du monde de l’éveil ne fait plus obstacle. La loi de la causalité ne fonctionne pas, aucune des lois de la physique Newtonienne n’y fonctionne, le temps peut devenir un réseau de temps divergents, convergents et parallèles comme dans ce jardin de Borges ou dans cette interprétation de la mécanique quantique par Everett et Wheeler qui postulent l’existence de plusieurs mondes parallèles. En fin de compte, le rêve c’est ce qui met en échec le pouvoir absolu que notre culture confère au monde dit extérieur ou réel, qui n’est, semble-t-il, qu’une construction, parmi d’autres, de la conscience. C’est ce que les orientaux, les aborigènes et les amérindiens disent depuis toujours, mais la pensée occidentale dominante a dû attendre les preuves de la nouvelle physique pour commencer à considérer cette éventualité.

M. K.: Le sommeil met en jeu une double, ou une multiple, existence. Pendant que le corps se repose, nous voyageons, nous traversons le temps et l’espace, nous traversons notre propre histoire dans toutes les directions, à rebours ou en la devançant. Le sommeil c’est l’état charismatique qui nous ouvre à notre propre transparence et à la transparence du monde.
 
Paris, 1987

 
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