Klonaris/Thomadaki
Unheimlich I: Dialogue secret
DU CYCLE DE L'UNHEIMLICH

Film Super 8 couleurs, 75 min., silencieux, précédé d’une introduction en diapositives - photogrammes figés, 1977-79
Conception, réalisation, image, montage: Maria Klonaris, Katerina Thomadaki
Actantes: Elia Akrivou, Maria Klonaris, Katerina Thomadaki

Elia Akrivou et Katerina Thomadaki dans Dialogue secret
 
"Unheimlich": sentiment d’inquiétude devant une étrangeté inexplicable... On appelle "Unheimlich" tout ce qui devrait rester caché, secret, et qui se manifeste (Schelling)... Du côté de la féminité, "Unheimlich": la sorcière, l’hystérique... Elle empoisonne. Car elle a tous les caractères de l’ exclusion: étrangère, sorcière, femme, amoureuse... "Unheimlich", le déconcertant... Après la mélodie elle séduit par des ruptures...

Mise en scène de l’enclos fantasmatique. Mise en écran de la théâtralité. Splendeur et désuétude de l’artifice. Mise en maquillage, mise en masques, mise en gestes, mise en costumes. En possession de l’image de mon corps, dédoublée et redoublée par les miroirs. Mise à nu de l’inconscient: l’équivalent symbolique d’une mise à mort. Accumulation et condensation des absences. Représentations somatiques de dérèglements psychiques. Effacement des significations. Références constantes aux significations effacées.

Ce film: un état hypnoïde.
 
M.K. - K.T., 1979

 

 
1. Unheimlich I: Dialogue secret est le premier volet d’un triptyque qui, dans son ensemble, durera plus de six heures. Il constitue la continuation de notre réflexion imagée sur le corps féminin, l’identité et l’inconscient.

2. Pour nos quatre premiers films et films/actions qui composent la Tétralogie corporelle (Double Labyrinthe, 1976, L’Enfant qui a pissé des paillettes, 1977, Soma, 1978 et Arteria Magna in dolore laterali, 1979) nous avons travaillé à deux, ce procédé créatif faisant partie de l’énoncé de nos œuvres: abolition des rôles, abolition des hiérarchies de tout ordre, création égalitaire.
Dans Unheimlich I: Dialogue secret, pour la première fois nous élargissons le champ en incluant d’autres femmes (neuf participeront à l’ensemble du projet). Dans ce premier volet, excepté nous-mêmes, participe également Elia Akrivou, comédienne principale de notre groupe de théâtre expérimental à Athènes (1968-74) formée par notre Atelier du Jeu de l’Acteur.

3. Le titre. Unheimlich, le terme rendu fameux par Freud, désigne le déconcertant, l’étrangement inquiétant, l’énigmatique, le familier tourné en étrange, le refoulé qui se montre à nouveau.
«On appelle "unheimlich" tout ce qui devrait rester secret, caché et qui se manifeste» (Schelling).
Jentsch met en relation l’effet de "unheimlich" avec l’impression que produisent la crise épileptique et les manifestations de la folie.
«L’unheimlich surgit souvent et aisément chaque fois où les limites entre imagination et réalité s’effacent, où ce que nous avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel, où un symbole prend l’importance et la force de ce qui était symbolisé»... (Freud)
L’inquiétante étrangeté qui émane du silence, de la solitude, de l’obscurité.
Dialogue secret entre les participantes. Entre les participantes et la caméra. Entre les participantes, la caméra et les spectateurs.
Ce film est complètement silencieux (comme Double Labyrinthe et Arteria Magna). Le silence est écoute.

4. Identité. Identité de femme. La structure imaginaire du corps propre. Substitution du sujet au personnage fictif. Métamorphoses du sujet.

5. L’artifice. Le maquillage, le masque, le costume: vocabulaire paroxystique qui rend le corps l’équivalent projectif du sujet uni à la réalité interne de son désir. L’artifice: ce par quoi le corps devient inaccessible.

6. Le miroir. Une longue séquence avec des miroirs occupe la partie centrale du film. Le thème du miroir traverse tous nos films depuis Double Labyrinthe. L’image du corps dédoublée et redoublée par les miroirs. Le reflet et le double. Dédoublement du moi «car, primitivement le double était une assurance contre la destruction du moi, un énergique démenti à la puissance de la mort» (O. Rank). Dans l’espace spéculaire le sujet se saisit comme un autre et l’autre est l’image de soi.

7. Le feu. Avant dernière séquence. Montage structurel. Le visage de Maria Klonaris dévoré par les flammes. Identité sorcière.

8. La structure chromatique du film. La couleur a ici une importance majeure. La gamme des couleurs utilisée est restreinte: le noir, le blanc, l’or, l’argent, la couleur de peau, de pain, de bois. Couleurs signifiantes. Juxtaposition des contraires, heurt et harmonie du négatif et du positif. Plans trompe l’œil: du noir et blanc en couleurs.

9. Le fond noir. Absence obsessionnelle de l’environnement démarquant l’émergence d’un espace intérieur. L’environnement nié est remplacé par l’espace clos: l’enclos fantasmatique. 

10. Le mouvement de la caméra. Caméra de Maria Klonaris filmant Katerina Thomadaki et Elia Akrivou: lenteur, immobilité, glissements imperceptibles, écoute qui situe les visages entre le domaine du vivant et du définitif. Sensualité de l’écoute. Caméra des états hypnoïdes.
Caméra de Katerina Thomadaki filmant Maria Klonaris: mouvements abruptes, délibérés, rythmés et répétitifs. Caméra trépidente. Saccadée mais géométrisée, la trace du geste du corps filmant s’imprègne sur le corps filmé.

11. Rotation. Mouvement spiroïdal. Danses labyrinthiques. Le thème labyrinthique marque le mouvement des participantes (Elia Akrivou et Katerina Thomadaki dans leurs danses répétées) ainsi que le mouvement des objets et de la caméra.

12. L’immobilité. Notre violence est celle des choses immobilisées et ainsi rendues absolues. L’immobilité poursuivie jusqu’au plan fixe extrême: la diapositive.

13. L’abstraction. Dissolution des images concrètes par des mouvements rapides de la caméra. Les formes abstraites: point culminant et ponctuation entre les séquences. Masses ou lignes colorées en mouvement dans l’immobilité ou la lenteur des séquences.

14. La structure globale du film. Dialectique entre les passages où figurent Elia Akrivou et Katerina Thomadaki et ceux où figure Maria Klonaris. Les premiers paraissant une émergence lente d’un lieu au delà du réel, les deuxièmes faisant irruption comme une mise en crise de l’inconscient.

15. Les écrans. Dernière séquence: refilmage d’un écran vide, multiplié par des prismes. Procédé de démythification de la projection dans le sens analytique du terme. Mise en évidence de l’écran: c’est sur cet espace vide que se projettent les images qu’un sujet entraîne avec lui, les scènes qui le hantent, les travestissements de son désir. Le fantasme est “l’écran fondamental du réel” (Lacan). 
Dans cette dernière séquence nous inscrivons sur film le procédé d’éclatement de l’écran que nous avons réalisé dans la performance de projection Soma (1978).
“Et comme d’autre part, toute projection soumise à l’automatisme de répétition ne cesse de revenir, en la modifiant plus ou moins profondément, à cette distinction primordiale entre le subjectif et l’objectif, l’inquiétante étrangeté paraît inhérente à l’acte même de projeter où elle signifie que le sujet s’est aliéné une partie de lui-même qu’il perçoit comme un autre.” (Sami-Ali)
 
M.K. - K.T., 1979

 
Toutes les photos sont réalisées par Klonaris/Thomadaki sauf mention contraire
Photo 1: Elia Akrivou et Katerina Thomadaki dans Unheimlich I:Dialogue secret
Photo 2: Maria Klonaris dans Unheimlich I:Dialogue secret

Cycles d'œuvres
Films
Le Cycle de l'Unheimlich
page d'entrée
textes
Dialogue secret - multi-projection

Textes et photos: copyright Maria Klonaris/Katerina Thomadaki. Tous droits réservés.